Les Quatre-Routes d’Albussac, village incendié par la division “Das Reich”
le 09 juin 1944
Contexte historique
Au printemps 1944, la 2. SS-Panzer-Division « Das Reich » – composée de plus ou moins 15 000 hommes dont environ 9 000 venus du Front de l’Est – stationne aux abords de Montauban et tout le long de la Garonne jusqu’à Toulouse. Au matin du 6 juin, quelques heures après le débarquement allié en Normandie, ordre est donné au commandant Heinrich Bernhard Lammerding de remonter vers le nord afin de prêter main-forte à la Wehrmacht et, en chemin, de nettoyer toute trace de résistance, voire d’opérer des expéditions punitives ; ce sera le cas à Tulle, le 9 juin 1944 (où 99 hommes seront pendus et 158 déportés à Dachau) et le lendemain à Oradour-sur-Glane, en Haute-Vienne.
Pour accomplir sa mission, la division « Das Reich » se divise en plusieurs régiments qui, à l’approche de la Corrèze, se concentrent sur deux axes principaux : l’un venu de Cahors se dirige vers Brive-la-Gaillarde, l’autre en direction de Tulle via Figeac. Pour retarder la marche de cette colonne, les maquis de la Corrèze établissent de multiples barrages sur la route, entre Beaulieu, la Graffouillère, Les Quatre-Routes et Tulle.
Contexte local
Au matin du vendredi 9 juin 1944, vers 11h30, les détonations d’un canon de char et des rafales de mitraillettes se font entendre à l’entrée des Quatre-Routes d’Albussac, du côté de la route de Beaulieu-sur-Dordogne. Un détachement de la division « Das Reich » fait sauter un barrage constitué de fûts de goudron, avant de pénétrer dans le village. L’affolement s’empare des villageois. Tandis que certains parviennent à s’enfuir à travers les champs et les bois, d’autres, pris au dépourvu, sont obligés de faire face aux envahisseurs. Les représailles commencent par l’auberge-hôtel « Le Relais des chasseurs » de la famille Escaravage (cf. le témoignage du fils, Henri, 14 ans au moment des faits). Les soldats fouillent les maisons à la recherche d’éventuels maquisards cachés et demandent aux habitants de sortir… Dans la maison-hôtel de la famille Fréchet, ils tentent d’emmener le fils de 17 ans, Roger, malade. Sa mère s’y opposant vivement, ils mettent une couverture sur le dos de l’adolescent et demandent aux deux de sortir au plus vite. Quelques instants plus tard, l’habitation et ses dépendances sont en feu ! Les sept maisons comprises entre les barrages dressés par les maquisards sur la route de Beaulieu-sur-Dordogne et de Tulle sont entièrement détruites. Une seule est épargnée : celle de Mme Roume, née Pauty. Cette propriétaire, fort âgée, refusant de sortir de chez elle, les SS n’oseront pas la brûler vive dans son habitation… L’école municipale est également soufflée ; la veille au soir, les maquisards étaient venus récupérer leurs armes cachées sous la salle de classe. Le bruit des explosions et la fumée de l’incendie terrorisent la population aux alentours. Durant trois jours, les ruines du village seront traversées par les blindés allemands.
La destruction des Quatre-Routes sera classée dès 1944 au rang des « Crimes ennemis contre l’économie nationale ».
Les habitants des Quatre-Routes n’ont rien pu récupérer de leurs maisons : la totalité de leurs biens a été entièrement détruite.
Ils ont d’abord été hébergés dans des familles alentours ou chez leurs proches, puis installés par la commune dans huit baraquements en bois sans aucun confort.
Durant quatre ans, ils ont souffert de la chaleur l’été et du froid l’hiver mais ont toujours étés soutenus par la solidarité des habitants d’Albussac et des communes voisines.
La reconstruction de leurs habitations, celles que vous avez aujourd’hui sous vos yeux, s’est étalée de 1949 à 1953.
François Nouaille
Garçon épicier dans la région parisienne de 1897 à 1906, François Nouaille s’était établi à Brive-la-Gaillarde en 1906 où il s’était marié l’année précédente avec Maria Puydebois. Mobilisé d’août 1914 à mars 1919 (cf. photos), il avait servi dans la 12e légion de gendarmerie jusqu’en 1917, en France puis dans l’infanterie de l’Armée d’Orient, de 1917 à 1919. A son retour, il devait travailler dans une épicerie fine de Brive (Les Economats du Centre) pour laquelle il allait notamment exercer le métier de représentant de commerce. Pourquoi et à partir de quelle date François Nouaille a-t-il été locataire aux Quatre-Routes d’Albussac d’une maison appartenant à M. Escaravage et située à proximité de son hôtel ? Il n’était pas recensé sur la commune d’Albussac en 1936. Conducteur de bus à une certaine période, jugeait-il alors ce lieu de résidence plus commode ? Ce 9 juin 1944, après avoir quitté son logement à la demande des soldats, il y est entré de nouveau pour prendre quelques effets personnels. Il a péri enseveli sous les décombres d’un mur de l’hôtel…
En 2024, sa petite-fille Anne Laquièze (21 mois au moment des faits, fille de Lucienne, l’unique enfant de François) nous a confié qu’une « chape de silence » avait recouvert la vie et les circonstances de la mort de son grand-père à partir de son décès…
Déclaré « Mort pour la France », son nom ne figurait sur aucun monument aux morts. Il a été rajouté en 2024 sur celui de la place du bourg d’Albussac.
Photo : François Nouaille en soldat lors de la Première Guerre Mondiale
Archives : Acte de naissance Acte de décès Fiche militaire Déposition du maire Photo groupe Photo monument aux morts
Témoignage d’Henri Escaravage, habitant des Quatre-Routes, 14 ans au moment des faits
Le 9 juin 1944, nous sommes trois candidats de l’école des Quatre-Routes d’Albussac – Marie-Louise Brugeille, Pierre Barbazange et moi-même – accompagnés de notre institutrice Mme Juliette Veyssière et de ma sœur aînée Renée, à monter sur nos vélos à 6 heures du matin pour partir passer les épreuves du certificat d’études à Argentat. A midi, alors que nous apprenons être tous trois reçus, nous n’avons pas le temps de savourer notre succès : le bruit court déjà à Argentat qu’une colonne SS se dirigeant vers le nord passe aux Quatre-Routes. Sur le chemin du retour, nous trouvons au niveau des Murels M. Pierre Bordes, maire de notre commune d’Albussac, venu à notre rencontre nous avertir que les Allemands sont en train de détruire notre village. Une personne croisée un peu plus loin nous informe qu’un habitant de « l’hôtel aux sapins », aussitôt identifié par ma sœur et moi comme celui de nos parents, a été tué ! L’angoisse nous étreint : est-ce notre père ? Nous saurons plus tard qu’il s’agit de M. François Nouaille, un de nos locataires. Voulant récupérer ses affaires, le pauvre homme est rentré dans la maison au moment où elle s’est effondrée. Nous connaîtrons le déroulement des faits survenus ce jour-là au fur et à mesure des retrouvailles, dans les heures et les jours d’après, avec nos familles et nos voisins, tous sains et saufs.
Ce 9 juin, les maquis de l’AS (Armée Secrète) avaient érigé deux barrages à l’entrée du village : un avec des fûts de goudron sur la route en direction de Beaulieu-sur-Dordogne et un autre au moyen d’un arbre abattu en travers de la route qui part vers Tulle. Heureusement, les résistants postés en amont, au lieu-dit La Graffouillère, avertis de l’arrivée de la division allemande, avaient donné l’ordre à ceux des Quatre-Routes de se retirer sans laisser de trace. Une décision qui aura certainement évité une catastrophe humaine…
Vers 11h30, alors que ma mère est en train de faire sa cuisine et mon père de s’occuper à son jardin, deux gradés allemands font irruption et demandent à boire pour leur troupe. Le bruit court déjà que le village va être détruit. « Ne faites pas brûler nos maisons ! » supplie ma mère. Ils lui répondent en bon français: « Ne vous inquiétez pas, nous sommes des miliciens français et il ne vous sera fait aucun mal ». Les soldats se servent à boire et à manger à volonté, chantent et chahutent gaiement. Ma mère, aux aguets, voit arriver d’autres soldats qui portent des caisses tout en chantant. Soudain, ils se mettent à crier : « Raus ! », « Sortir ! », « 3 minutes ! » A peine le temps de réaliser que déjà ils lancent des bombes à travers les soupiraux de la cave ! Notre hôtel est soufflé dans l’instant… Certains témoins affirmeront avoir vu le toit projeté à la hauteur de la cime des sapins. Pour dégager la route encombrée par les gravats de l’hôtel et faciliter le passage de leurs véhicules, les Allemands mettent le feu à l’ensemble des maisons, pensant y piéger des maquisards. Durant les trois jours suivants, les blindés de la division SS ont traversé par vagues successives les ruines de notre village …
Le mémorial
Le mémorial a été édifié en 2024. La stèle est représentée par une pierre de Roche de Vic, site tout proche, qui symbolise les maisons détruites, associée à une double flamme évoquant à la fois le feu destructeur et la flamme du souvenir. La stèle est accompagnée de 3 tables mémorielles expliquant le déroulement des faits.
Ce mémorial a été inauguré le 8 juin 2024 par Monsieur Sébastien Meilhac, maire d’Albussac et son conseil municipal, en présence notamment de Messieurs Etienne Desplanques, préfet de la Corrèze, Francis Dubois, député, Daniel Chasseing et Claude Nougein, sénateurs, Pascal Coste, président du Conseil départemental, Sébastien Duchamp, conseiller départemental.
– Les tables mémorielles –
– Les photos de la cérémonie d’inauguration –
Archives
Service historique défense
Famille Ardailloux/Tavé – Les Quatre-Routes
Famille Vialettte – Roussanne
Musée Edmond Michelet – Brive-la-Gaillarde
Famille Escaravage – Les Quatre-Routes
Mairie d’Albussac
Bibliographie et sources
Archives départementales
Sites Internet
Bibliographie
Histoire et Légendes – Beynat et Roche-de-Vic de Emile Charlot, Imprimerie Chastrusse & Cie (1966)
Vieux passé d’Albussac du Dr. Albert Massonie, Imprimerie Maugein-Lachaise (1990)
Réalisation
Recherches/conception/textes :
Comité consultatif “Tourisme et Patrimoine” (Meilhac Sébastien – Trémouille Guillaume – Laurensou Damien – Eyrolle Nicolas – Rigal Christian – Salesse Marie-Claudine – Servantie Marie-Hélène)Conception graphique des tables pédagogiques :
ABna-Print – BeynatMobilier tables pédagogiques et flammes :
Dupuy Soudage – Lagarde-Marc-la-TourPlaques commémoratives :
Pompes Funèbres Gane – Argentat-sur-DordogneAménagement paysager :
Entreprise Dieuzede – Albussac